jeudi 3 mars 2011

la mort en papier

ma mère ne voulait pas me dire ça au téléphone, sauf que ça commençait à urger : il fallait qu’elle me parle de son testament. ça m’excitait pas tellement mais elle m’a annoncé une belle nouvelle, elle m’a dit que tous ses bijoux seraient à moi.
ma mère adore les bijoux, elle porte de jolies bagues qui vont bien à ses doigts. elle attache sous ses cheveux des colliers d’ambre qui font briller ses joues. parce qu’elle a de belles tâches de rousseur, ma mère, et ça lui donne un air taquin de petite fille. elle, elle aime pas ça mais je suis certaine que tous les hommes qui l’ont aimée se souviennent de ses joues, je suis certaine qu’ils s’en mordent les doigts.
elle m’a dit qu’elle avait eu une idée un peu étrange : elle pensait offrir son corps à la science. elle m’en parlait parce qu’elle voulait savoir mon avis. moi, j’étais une fois de plus interloquée par la synchronisation de la vie. je venais de terminer les enfants moroses, dont l’une des dernières nouvelles se déroule à l’exposition bodies :

« dans la dernière salle, elle s’est arrêtée devant une petite affiche. on y invitait les personnes intéressées à inscrire leurs coordonnées sur un coupon pour obtenir des documents d’information sur le don de corps et d’organes à la science. quand je l’ai vue chercher un crayon dans son sac, j’ai paniqué.
- non.
elle a levé les yeux vers moi.
- c’est seulement par curiosité.
- non.
je ne tolérais pas l’idée qu’un jour, elle rejoindrait les corps de l’exposition. pour toujours figée dans une pose, une expression qui ne seraient pas elle.
- ces corps sont anonymes, on ne sait pas à qui ils appartenaient. personne ne peut les reconnaître. ils n’ont plus aucune famille.
j’avais les larmes aux yeux, soudainement.
sarah ne m’a pas regardée, mais elle a cessé d’écrire.
- je ne veux pas être ici, je ne veux pas que mon corps soit ici un jour. et tu n’aimes aucun sport.
elle a froissé le papier et l’a glissé dans l’une de ses poches avant de poser sa main sur mon bras.
- d’accord, n’y pensons plus. »
lorsque ma mère lui en a parlé, mon petit frère a eu sensiblement la même réaction.
« pense à nous », il a dit, « t’es ma maman, je veux pas que ma maman soit taillée en morceaux. » mon grand frère a répondu comme un sage : que ta volonté soit faite.
moi je savais pas parce que de toute façon ma maman mourra jamais.

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